Friday, February 24, 2006

The trouble with being born

HouellebecqCioran

Quelques jours avant la sortie officielle de
La possibilité d’une île, le magazine Lire étonnamment avait titré sur le mystère Houellebecq et offert ses colonnes à ceux, privilégiés alors, qui l’avaient lu avant tout le monde. Je me souviens, j’avais été marqué par la virulence de la critique de Michel Onfray et notamment par ces lignes : «Houellebecq ne se supporte pas parce que l’entropie le ravage : le temps passe, les corps vieillissent, la chair se défait, les agencements ne durent pas, et l’évidence brutale de ces banalités le terrasse. Dès lors, il se complaît dans les variations sur l’inconvénient d’être né, scie musicale de toute pensée prépubère. » De voir l’ouvrage de Houellebecq ainsi rapproché du plus beau livre de Cioran m’avait (ce n’était sans doute pas l’intention d’ Onfray) encore plus donné envie de me plonger dans son roman. Aujourd’hui, j’ai enfin achevé La possibilité d’une île et je comprends mieux la filiation entre les deux. Ils ont effectivement en commun la négation du progrès de l’humanité, la négation des futurs ( malgré le clonage réussi de Daniel et tout ce que peut écrire Daniel,24), ce qui, pour un philosophe comme Onfray ou un jeune politicien plein d’avenir comme Besancenot n’est pas supportable. Celui-ci n’a-t-il d’ailleurs pas écrit que « il [Houellebecq] capte ce qu'il y a de plus morose, de plus malsain, de plus désespéré dans l'air du temps... C'est vraiment le discours de la résignation qu'attendent les possédants. » Au moins ces deux-là lui reconnaissent d’être le fidèle miroir de son époque, ce qui pour moi, n’est pas rien. Mais je reviens à la filiation Cioran-Houellebecq et à ce qui hante une bonne part de la possibilité, le rejet de la procréation naturelle. J’ai été frappé de constater à quel point certains passages de Daniel,1 ( et parmi les meilleurs) pouvaient se lire comme directement inspirés de la lecture des propos de Cioran. Ainsi, livre VIII de De l’inconvénient d’être né, Cioran écrit : « J’étais seul dans ce cimetière dominant le village, quand une femme enceinte y entra. J’en sortis aussitôt, pour n’avoir pas à regarder de près cette porteuse de cadavres, ni à ruminer sur le contraste entre un ventre agressif et des tombes effacées, entre une fausse promesse et la fin de toute promesse ». Et page 67, Houellebecq fait écrire à Daniel dans son récit de vie : « Il n’y avait pas seulement en moi ce dégoût légitime qui saisit tout homme normalement constitué à la vue d’un bébé ; il n’y avait pas seulement cette conviction bien ancrée que l’enfant est une sorte de nain vicieux, d’une cruauté innée, chez qui se retrouvent immédiatement les pires traits de l’espèce, et dont les animaux se détournent avec une sage prudence. Il y avait aussi, plus profondément, une horreur, une authentique horreur face à ce calvaire ininterrompu qu’est l’existence des hommes. Si le nourrisson humain, seul de tout le règne animal, manifeste immédiatement sa présence au monde par des hurlements de souffrance incessants, c’est bien entendu qu’il souffre et qu’il souffre de manière intolérable. C’est peut-être la perte du pelage , qui rend la peau si sensible aux variations thermiques sans réellement prévenir de l’attaque des parasites ; c’est peut-être une sensibilité nerveuse anormale, un défaut de construction quelconque. A tout observateur impartial en tout cas, il apparaît que l’individu humain ne peut pas être heureux, qu’il n’est en aucune manière conçu pour le bonheur, et que sa seule destinée possible est de propager le malheur autour de lui en rendant l’existence des autres aussi intolérable que l’est la sienne propre – ses premières victimes étant généralement ses parents. » Ce qu’il y’a de bien avec les meilleurs écrivains, c’est que leur misanthropie et leur défaitisme ont toujours quelque chose de réjouissant. La force de la langue compense ce que le constat peut parfois avoir d’accablant ou de péniblement lucide. On dit de l’écriture de Houellebecq qu’elle est plate et clinique ( et c’est vrai qu’il faut en passer par quelques pages qui ne dépareraient pas une notice de mode d’emploi pour un four à micro-ondes) mais même si tout n’est pas à la hauteur du passage ci-dessus, il y’a suffisamment de fulgurances ( sur les pays ex-communistes, sur Larry Clark, sur la dichotomie insoutenable entre l’augmentation des désirs créée par la société de consommation et l’impitoyable arsenal juridique mis en place pour domestiquer la sexualité ) pour faire de La possibilité d’une île un livre qui poursuit longtemps

6 comments:

Anonymous said...

Ce groupe est consacré à la discussion/information concernant Cioran.

http://fr.groups.yahoo.com/group/PlaneteCioran

Anonymous said...

merci pour ton com sur mon blog, j'avais déjà remarqué qu'on avait en commun morrissey, et maintenant houellebecq, je n'ai qu'une chose à dire : copainnnn !

NARDAC said...

You should read Houellebecq's essay on Lovecraft to really understand how anti-life, anti-human he really is. I like his style, clean and poised, without being overly wordy, but I like what he has to say even more. I can't but think, though, that Houellebecq would be distressed to realise that death is screaming "copainnnn" indiscriminately.

L'Anonyme de Chateau Rouge said...

Il y a chez Cioran une certaine poésie que j'ai du mal à percevoir dans l'oeuvre de Houellebecq mais par contre son écriture à sur moi le même effet que provoque la lecture des bouquins de Lovecraft ( qu'il ai écrit sur ce dernier ne m'étonne guère ). En général lorsque je m'attaque à une oeuvre de Lovecraft ou de Houellebecq, l'effroi m'attrape la gorge et je me tape des crises d'angoisse puis je n'en dors pas de la nuit.... et je supporte pas du tout ça, alors bien souvent je prefere ne pas lire ces auteurs que je tiens pourtant en haute estime ( surtout Lovecraft ! ).

NARDAC said...

I would never ever say, though, that reading Houellebecq and reading Lovecraft provoke the same feeling nor understanding. Lovecraft is gaudy and hellish with glee at our annihilation while Houellebecq is only quietly cynical and inwardly deadly pessimist. The difference is in exuberance.

L'Anonyme de Chateau Rouge said...

Nardac je rebondissais sur ton évocation de Lovecraft a propos de Houellebecq. Je comparais juste l'effet que ces deux écrivains arrivaient a provoquer chez moi et non leur volonté de plonger les lecteurs dans un univers, infernal insupportable pour l'un, et profondément pessimiste pour l'autre. La science de l'horreur de Lovecraft est pour moi tout aussi angoissante que le pessimisme de Houellebecq. Mais si ils me sont insupportable c'est bien parce qu'ils touchent chez moi et chez d'autres lecteurs un point sensible. Réussir à toucher à ce point est sans aucun doute une preuve de grand talent.