Saturday, October 11, 2008


François Mauriac n'a pas bonne presse à la maison. Mon fils, pour n'être pas parvenu à lire Thérèse Desqueyroux dans son intégralité, s'est vu gratifier d'une vilaine note à son oral de français, lui qui pourtant espérait si fort dans cette épreuve. Depuis, Thérèse Desqueyroux et par extension, toute l'oeuvre du Prix Nobel 1952 sont vouées aux gémonies. Quant aux profs de Lettres, ce sont toutes de vieilles biques acariatres et misandres.
J'eus beau tenter de lui expliquer que la carrière de Mauriac ne se résumait pas à ce roman synonyme de déconvenue et d'humiliation, ce fut peine perdue. Pourtant, si je n'ai jamais lu un seul roman du Bordelais, j'aime plutôt bien son Bloc-notes et son oeuvre de journaliste. Pleins d'une frémissante indignation, ces textes montrent le plus souvent un écrivain honnête refusant la posture de l'Aventin, toujours prêt à se mettre les mains dans le cambouis dès lors qu'il s'agit de dénoncer les petits arrangements avec la morale de son propre camp (en gros, la bourgeoisie calotine). Sur le colonialisme, sur le procès Pétain, il a des mots que peu prononcèrent alors. On peut retrouver nombre de ces écrits dans D'un Bloc-notes à l'autre. Celui que je préfère est un article du Figaro littéraire daté du 14 décembre 1957. Dans cet article, il évoque les Carnets secrets d'Abel Ferry, le neveu du grand Jules, à la fois ministre et combattant durant la Grande Guerre. Abel Ferry fut fauché alors que beaucoup lui prédisaient une brillante carrière politique, au moins égale à celle de son illustre oncle. Dans ces carnets, il s'attarde longuement sur des entretiens qu'il eut avec Théophile Delcassé, ministre des Affaires étrangères de 1889 à 1905 et en grande partie responsable de l'isolement diplomatique de l'Allemagne. Mauriac a, en rappelant l'importance du rôle de ce diplomate dans le déclenchement de la guerre des mots rarement égalés sur la capacité qu'ont les hommes à se laver les mains du sang versé par leur faute. je vous laisse apprécier : " Ce qui me retient ici, ce n'est pas l'aveu d'une responsabilité française dans la politique qui a rendu la guerre inévitable [...], c'est le type humain qu'incarne Théophile Delcassé, le triomphe de ce génie solitaire, cette sorte d'enivrement alors que le reste du monde séchait d'angoisse. Il ne pouvait pas ne pas savoir que des millions de jeunes vivants allaient être condamnés à mourir, qu'ils l'étaient d'ores et déjà (et celui-là même devant lequel il s'exprimait). Nous touchons ici au malentendu qui sépare deux races d'esprit dont l'une écrit froidement l' Histoire et dont l'autre s'indigne de cette Histoire écrite avec du sang. Que ce sang paraît peu coûter à ceux qui en règlent l'effusion!
Le 14 août 1917, comme Abel Ferry disait à Poincaré que la guerre durerait un hiver encore, le président l'interrompit : "il faut souhaiter qu'elle dure longtemp!". je crois entendre cette voix sèche. [...] Pour cette race-là, pour ces génies abstraits, ce qui compte, c'est la puissance la nation - jamais la vie d'un homme n'a si peu pesé qu'entre 1914-1918.

3 comments:

Anonymous said...

Oui, c'est magnifique mais un tantinet attendu si tu veux mon avis. (Un petit problème de date dans ton article).
Le sang de la jeunesse coûte si peu à verser : c'est une évidence pour bien des vieillards bien assis (rancis)! Et l'on n'a plus alors qu'à déplorer jounalistiquement les disparitions prématurées de ces James Dean de 14, qui avec Alain Fournier, sont montés à l'assaut le sabre au clair. Il faut seulement agiter un drapeau, des valeurs bien nationales et patriotiques pour que la jeunesse s'enflamme et donne -sans coup férir et sans beaucoup penser- son sang pour des concepts défraîchis : gloire, panache, famille, patrie. Mais à qui la faute, à ces cyniques vieillards qui régénèrent le pays à coups de purge des forces vives ou à ces dernières qui se trouvent sublimes d'aller mourir pour les idéaux qui ornent les frontons de nos bâtiments publics ? Et des rencontres que tu évoques, le bon Mauriac a sans doute le beau rôle de défendre les derniers.
L'OdR

Anonymous said...

Je voulais préciser (car peut-être faisons nous un contre-sens sur le mot de Pointcarré): si la guerre avait duré plus longtemps, peut-être que la jeunesse, qui prenait du plomb dans l'aile en aurait-elle pris aussi dans le crâne, littéralement et au figuré. Les mutineries de 17 en sont un exemple avant-coureur. La fleur au fusil finit par faner et la guerre montre alors son mufle minotaurin; les idéologies finissent aussi par tomber quand les guerres durent et que les hommes se trouvent alors obligés de penser. Etait-ce cela ce que laissait entendre Pointcarré ? Pas sûr, et pourtant...

Le même

Eric Aussudre said...

L'odieux ex-nantais est de retour et c'est bon. Qui d'autre nous gratifiera de mufles minotaurins? Hélas, l'odieux, fin connaisseur du mythe de Thésée l'est un peu moins des moeurs politiques de la défunte Troisième République. Poincaré n'avait pas en tête l'hydre Internationaliste lorsqu'il prononça ses mots. Il souhaitait que la guerre dure pour que l'Union sacrée perdure et que la paix civile se maintienne. les mutineries de 1917 furent avant tout un mouvement de profonde lassitude et s'il y'eut des drapeaux rouges brandis et des temps des cerises chantés, ils furent très minoritaires.
Quant aux James Dean de 1914, en 1917, le sublime des monuments aux morts les laissait de marbre. Les attitudes héroïques sont mortes dans la boue des Eparges et les forces vives ont été ensevelies dans la tranchée des baïonettes.