Saturday, October 04, 2008

I'm ok with his decay


Le problème lorsqu’on joue au martyr, c’est qu’on prend facilement la pose. Dans les extraits de la correspondance entre Bernard Henri Lévy et Michel Houellebecq publiés cette semaine par le Nouvel Observateur en prélude à la sortie du livre Ennemis publics , on retrouve effectivement cette fâcheuse tendance qu’a l’auteur de Plateforme à se transformer en Saint Ignace postmoderne. Comme souvent avec Houellebecq, l’impeccable lucidité va de pair avec une certain sens de la parade. « Auteur plat, sans style, je n’ai accédé à la notoriété littéraire que par suite d’une invraisemblable faute de goût commise, il y a quelques années, par des critiques déboussolés. Mes provocations poussives ont heureusement fini par lasser » écrit-il, désarmant ainsi à l’avance les détracteurs présents et futurs. Ouais, facile… Mais Houellebecq vaut mieux, beaucoup mieux, on le sait bien, que ses pathétiques velléités d’autodénigrement. Non, l’irlandais n’est jamais meilleur que, lorsque marchant dans les pas de Cioran, il se fait l’apôtre du renoncement, adoptant une philosophie défaitiste évidemment pas fait pour me fâcher avec lui. Slacker un jour, slacker toujours. En atteste cette formidable lettre datée du 16 mars 2008


« Cher Bernard-Henri,

[...] Presque inapte à la violence physique, je n'y ai de surcroît jamais éprouvé aucun plaisir, même dans les cas - rares - où j'étais en position d'avoir le dessus. La renonciation à la violence physique comme méthode principale de règlement des conflits m'est même apparue comme un des seuls avantages du passage à l'âge adulte. Je n'ai jamais été fasciné par les armes, et par les jeux de stratégie guère davantage.

Je suis en outre organiquement, viscéralement incapable d'obéir. Lorsque j'ai l'impression qu'un ordre m'est donné, quelque chose en moi se fige, se transforme en une sorte de nodule mental douloureux, indépassable. Comme je suis le plus souvent trop lâche pour une opposition frontale, j'élude, je laisse entendre que j'obéirai le moment venu. Et puis, à la dernière seconde, sans même l'avoir anticipé, dans un mouvement irrésistible au point qu'il me paraît presque réflexe, je désobéis.

Inapte à l'obéissance, je n'éprouve aucun plaisir au commandement. Je l'exerce sans enthousiasme, uniquement pour des périodes brèves, et lorsque c'est manifestement indispensable.

On peut imaginer, avec tout cela, quel genre de soldat je ferais. Je n'ai aucun doute là-dessus, cher Bernard-Henri : en cas de guerre, je me battrai peu, et mal. J'échangerai quelques coups, ou quelques coups de feu; et puis, assez vite, je me demanderai ce que je fais là; la vague excitation occasionnée par le combat (je suis quand même, je suppose, capable de sécréter un minimum d'adrénaline) s'estompera. Et tout simplement, à la première occasion, je me carapaterai. Je rejoindrai la vaste troupe de ceux qui ont peu et mal combattu; de ceux qui ont attendu, sans trop oser le dire, que les autres arrêtent leurs conneries. De ceux qu'indiffère le destin de la démocratie, de la France libre, de la Tchétchénie ou du Pays basque; de ceux qui cèdent, de Gaulle avait bien raison, à l'hypnotisme du «vide effrayant du renoncement». Je suis de ces gens-là. De ceux que rien de général et d'universel (ni de particulier ni de local) ne peut réellement mouvoir. Cette vaste troupe qui subit l'Histoire, ne s'intéressant au fond qu'à ce qui la touche directement, elle et ses proches.

Il m'est extrêmement désagréable de penser que ce parti pris d'égoïsme et de lâcheté que je prends puisse me rendre aux yeux de mes contemporains plus sympathique que vous qui prônez l'héroïsme; mais je connais mes contemporains: je sais que c'est ce qui se produira. »

MH

Si toutes les lettres sont de cet acabit, les chiens qui ont cru Houellebecq enterré définitivement avec le naufrage de la sortie ciné de La possibilité d’une île vont devoir sagement rentrer au chenil. Houellebecq rides again.

1 comment:

Anonymous said...

Ouais, cet éloge paradoxal de la médiocrité me paraît un exercice un peu facile. Il met le doigt sur une idée juste : l'époque est à la médiocrité universelle et chacun porte en soi la médiocrité de l'autre qui s'y reconna^^it. mais est-ce un constat différent que faisait déjà Montaigne ? Pas si sûr, le cynisme désabusé (et un brin affecté) en moins.

L'OdR