Monday, November 03, 2008

Mes amis ont du talent (III)

Photo : Marijo Flahaut
J'avais pour principe (idiot comme beaucoup de principes) de ne jamais lire de littérature jeunesse. En gros, j'assimilais la lecture d'un ouvrage pour ados à des heures supplémentaires non payées. La publication en octobre d' A la poursuite de l'enfantôme m'a fait déroger à ce principe. Soyons honnêtes, je n'aurais sûrement pas ouvert ce livre s'il n'avait été signé Jean-Baptiste Evette. Jean-Baptiste, que j'ai eu la chance de connaître, d'avoir comme collègue et ami dans ma période fertoise fait partie de ces rencontres qui marquent durablement.
Dandy normand déroutant, guère porté à transiger, il construit une oeuvre passionnante qui, hélas, n'a pas l'audience qu'elle mériterait d'avoir. A rebours d'un nombrilisme qui a contaminé l'édition ces dernières années comme la myxomatose les terriers solognots (ce qui n'enlève rien à la réussite de nombreux ouvrages relevant de cette catégorie) , Jean-Baptiste Evette se plait à mêler passé et présent dans des épopées modernes qui ont le souffle large et l'intrigue subtile.
Édité par Gallimard jeunesse dans sa collection Hors-piste, A la poursuite de l'enfantôme n'est pas une parenthèse alimentaire dans son œuvre. Les obsessions de Jean-Baptiste n'ont pas été évacuées sous prétexte de s'adresser à un public à peine pubère. Plus simple certes lexicalement que ses autres romans (Hors-piste s'adresse à des enfants d'au moins douze ans), ce livre voit à nouveau l'Histoire (ici dans sa dominante tragique) ressurgir qu milieu d'un présent atone et fastidieux. Comme chez le grand voisin d'Illiers, il faut passer par une réappropriation méthodique du passé pour espérer vivre au présent sans trébucher. Char, l'adolescent rêveur n'aura d'autre solution que de fouiller parmi les décombres d'une ville autrefois bombardée pour délivrer sa sœur des spectres qui la hantent.
Dans une société qui cache ses morts pour ne pas avoir à les entendre, Jean-Baptiste rappelle la place qu'ils tiennent dans nos vies (bien que cette place soit souvent refoulée). Il y avait déjà de biens beaux spectres dans Les spadassins (son meilleur livre, je trouve) mais le fantôme qui vampirise la petite Jasmine est particulièrement réussi (" c'est une petite fille, une petite fille qui n'est pas comme les autres. Elle est toute seule. Parce qu'elle est morte").
Je ne maîtrise pas suffisamment la littérature et le cinéma fantastique pour distinguer tous les échos qui se font entendre dans ce livre mais parfois, j'ai pensé au Chat noir d'Edgar Poe et à d'autres moments, aux premières scènes d'Amytiville (lorsque Jazz devient ventriloque). Mais tout cela est assourdi et ne parasite jamais la petite voix de l'écrivain.
Destiné à un âge où jouer à se faire peur est de rigueur pour oublier ses vraies frayeurs, A la poursuite de l'enfantôme met des mots sur ces terreurs enfantines et offrent au lecteur attentif un moyen sûr de les conjurer. A vous de le découvrir même si vous avez allègrement franchi la trentaine. Il n'y a de toute manière jamais de problème de limite d'âge lorsqu'on mêle aussi habilement que Jean-Baptiste finesse d'écriture, tact de l'analyse psychologique et sens du récit.

1 comment:

Anonymous said...

Un beau commentaire; j'achèterai l'ouvrage à Noël. Les fantômes semblent effectivement poursuivre le dandy normand (belle appellation), mais il faut avoir vécu entre brumes et pluies, le long des grandes forêts bordées par des rêves shakespeariens et des ornières profondes pour savoir ce que ces écharpes de rêves signifient. Il est singulier de penser que les écrivains enchâssent les mêmes métaphores obsédantes d'un château de mots à l'autre, comme si sourdait le même besoin de conjurer les mêmes douleurs, d'exorciser les mêmes fièvres. Nul doute que ces métaphores, filées à même les veines de l'écriture, s'offrent comme un moyen d'accès et de reconnaissance à la géographie intime de l'écrivain.