Friday, July 24, 2009

Inexcusable


Peter Guralnick s'est fait connaître par une série d'ouvrages fort documentés sur le blues, Elvis et, c'est le sujet qui nous occupe aujourd'hui, la Soul Music. Guralnick est un érudit au meilleur sens du terme, c'est à dire qu'il ne laisse jamais oublier le fait qu'il demeure avant tout un passionné. Maintenant que ces choses sont dites, reconnaissons aussi qu'il n'est qu'un bon journaliste, largement surclassé, pour rester dans une sphère approchante, par un Nick Tosches (Unsung heroes of rock'n'roll répondant à Lost Highway, deux ouvrages sur le rockabilly si cher à l'ami Civil) qui montre une fantaisie, une drôlerie, une vacherie même dont Guralnick semble singulièrement dépourvu.
Dans Sweet soul Music, Guralnick entreprit de retracer l'âge d'or du rhythm'n'blues, des premiers pas de Brother ray à la mort de Martin Luther King. Outre qu'on peut trouver bizarre de circonscrire l'histoire de la Soul Music aux années 60 (quid du Philly sound ?), l'omission scandaleuse du Motown sound me reste totalement en travers de la gorge. Ecrire une somme de 440 pages sans évoquer une seule fois le nom de Berry Gordy ou des Funk Brothers vous disqualifie irrémédiablement lorsqu'on prétend dresser un portrait exhaustif de la soul sixties ( même si Guralnick a pris soin de sous-titrer son livre Rhythm and blues and the southern dream of freedom). Alors, pour ne pas instruire uniquement à charge, écoutons Peter Guralnick se justifier dans son introduction : "Southern soul music developed out of a time and a set of social circumstances that are unlikely to be repeated. I suppose I should make it clear from the outset that when I speak of soul music, I am not referring to Motown, a phenomenon almost exactly contemporaneous but appealing far more to a pop, white, and industry-slanted kind of audience (Motown's achievement, said Jerry Wexler, was "something that you would have to say on paper was impossible. they took black music and beamed it directly to the white American teenager"). Voilà comment, d'un simple revers de la main, l'auteur de Last train to Memphis se débarasse du label qui a sans doute le plus fait pour la diffusion universelle du mot soul. Le crime de Motown? S'adresser au public blanc avec les moyens des blancs mais Ray Charles faisait-il autre chose en enregistrant Modern sounds in country and western music ou Otis Redding en chantant à Monterrey. J'en doute... De la même façon, aux accusations perpétuelles de bleaching et de blemishing dont Tamla fait l'objet, on aimerait suggérer à Guralnick de réécouter attentivement les formidables anthologies A cellarful of Motown qui prouvent assez que, bien qu'adepte d'une certaine sophistication, le label de Detroit savait aussi se montrer violent et indomptable. C'est Philippe Garnier qui dans un article mémorable de Rock'n'folk (juin 1975) rappelle le côté "positivement hystérique" des Contours et les stridences des disques Tamla dus à ce "mix si reconnaissable qui rehaussait tous les aigus". Non, Martha Reeves sur Heatwave n'était pas moins raunchy qu'Etta James et Levi Stubbs pas moins gritty que Wilson Pickett.
Ce que les puristes blancs ne pardonnent pas à l'entreprise de Berry Gordy, c'est d'être sorti du ghetto, d'avoir infiltré le mainstream pop et surtout d'avoir eu du succès sans que le critère ethnique soit le critère déterminant. Et si Motown a effectivement dessillé toute une génération de baby-boomers WASP (il faut lire à ce sujet le très chouette édito d'Iggy Pop dans le numéro 183 de Mojo ), il l'a fait sans excessive compromission, avec une énergie, une constance dans la qualité et un sens de l'identité sonore qui encore aujourd'hui en font le plus grand label de toute l'histoire de la musique soul .

3 comments:

jake said...

le titre complet du livre de guralnick c'est : Sweet Soul Music: Rhythm and Blues and the Southern Dream of Freedom ...
Motown c'est la "très middle west" Detroit dans le Michigan, qui n'est pas très "southern"...

et pareil pour le "north east" philly sound Philadelphie, la Pennsylvanie..

et de toutes façons le plus grand label de soul c'est Stax.

Eric Aussudre said...

Titre complet qui au passage n'apparait pas sur la couverture. Cela ne me gène pas le moins du monde qu'il chante les louanges de Sam Cooke ou de James Carr mais j'encaisse mal qu'il affirme que la seul soul valable vienne du Sud!

Pitseleh said...

Il n'affirme pas que la seule soul "valable" vient du Sud, il affirme que la soul y est née, qu'elle y prend ses racines et qu'elle y est restée la plus proche de ses origines. Ce en quoi je suis totalement d'accord avec lui, ce qui ne m'empêche pas d'adorer la Motown.