Monday, April 22, 2013

Le cave se rebiffe

Les citoyens honnêtes du dix-huitième peuvent dormir sur leurs deux oreilles, Albert Simonin n'aura pas sa rue dans leur arrondissement. Et, pour tout dire, c’est tant mieux. La respectabilité, l'honorabilité littéraire, ça vous siphonne l'envie de lire plus sûrement qu'une presbytie fulgurante. On se demande bien d'ailleurs ce qu'un écrivain qui a autant chanté le mitan et conchié les "boulots" ferait à côté de préfets de police et de scribouillards attifés d'une rosette. Sa place n'est pas plus sur les plaques des rues que dans les manuels pour la jeunesse.
5 ans à l'ombre à la fin de la guerre, ce fût le prix à payer pour des articles parfois débectants qui évidemment ne lui permirent pas de compter parmi les Compagnons de la Libération. La justice ayant fait son œuvre, on peut donc lire ou relire son oeuvre tranquillement et notamment  Touchez pas au Grisbi qui, avant d'être l'un des tout meilleurs films français des années 50 (sinon le) fut la première participation de Simonin à la prestigieuse Série Noire. Ce furent sans doute ses années comme taxi entre Pigalle et la Porte de la Chapelle qui lui ont donné cette maîtrise de l'argot* qui impressionnait tant Dard et Audiard qu'ils en firent leur miel des années durant. Mais ce qui saisit, lorsqu'on compare Simonin à ces deux maîtres de la langue verte, c'est l'âpreté des situations décrites par le "Chateaubriand de la pègre". Passages à tabac, brutalité des mœurs, surinages en pagaille, on n'est pas souvent  dans "la caresse" et seule l'amitié entre Pierrot et Max le menteur amène un peu d'humanité dans ce grand déballage des noirceurs humaines (Max brasse des idées noires en permanence). Ce qui fait cependant tout le sel de ce petit bijou, c'est la langue, ô combien imaginative, à la fois impeccablement réaliste et somptueusement baroque. En atteste cet extrait où le narrateur (Max) évoque Marinette, une tenancière de première :" D'avoir débuté sur le banc, et avec le carat, Marinette avait pris le goût de l'autorité. Elle voulait que des prix de Diane dans sa taule. Du moulé superchoix, de la frime de madone, et du linge ! Elle y tenait, au vestiaire, autant qu'à l'éducation et aux manières convenables. Ses greluches, elle les présentait en tenue de villes, en bourgeoises affranchies, pas satisfaites à la maison et qui venaient ici reluire avec des vicieux. ça faisait énormément goder les michetons, ce rôle de paladins de la braguette, de terre-neuve de la bagouze. De plus, comme à toutes ses souris, Marinette cloquait en pagaille des maris bidons, avocats, diplomates, ingénieurs, officiers, industriels ou magistrats, le client avait encore la satisfaction révolutionnaire de tringler symboliquement la haute bougeoisie. En loucedoc, ça devait être un peu sa revanche de môme de Belleville, à Marinette."
* : Fringues, voitures, bectance, étrangers (en des termes qui, aujourd'hui, lui amèneraient pas mal d'ennuis), tout est trituré à la moulinette de la langue des fortifs.

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