Tuesday, August 09, 2005

" Low self-esteem" dirent-ils

Difficile de parler d’une artiste simplement sur la foi de trois chansons mais parmi ces trois chansons, deux font partie de la bande-son de mon été et la troisième relève d'une playlist nettement plus intemporelle. De ces chansons qu’on écoute dix fois , vingt fois pour essayer de deviner le secret, d’épuiser la substance.
Les trois morceaux que je viens d’évoquer ont pour titres Society’s Child ( 1966 ), When I was a child ( 1969 ) et At seventeen ( 1975 ) . Ils ont été composés et écrits par une jeune américaine native de New York, Janis Ian, qui fut célèbre outre-atlantique avec ces hits mais dont la notoriété actuelle en Europe est quasiment nulle.
Janis 1971
Society’s child évoque clairement une relation interethnique :
« Come to my door, baby
face is clean and shining black as night
my mama went to answer
you know that you looked so fine
now I could understand your tears & your shame
she called you boy instead of your name
when she wouldn't let you inside
when she turned and said
"but honey, he's not our kind"
»
et si, aujourd’hui, le texte serait sans doute taxé de politiquement correct, je crois qu’à l’époque, cela n’a pas été tout seul pour la petite Janis ( simplement 15 ans et demie lorsqu’elle composa ce titre dans la salle d’attente du conseiller d’orientation de son lycée, soit six mois de moins que Priscilla au moment où je vous parle ). Les réactions violentes ont été nombreuses à la sortie du 45 tours et Janis Ian s’en souvient encore aujourd’hui avec beaucoup d’acuité: « With society’s child, I wanted to touch people. But some folk bought tickets for my show so they could call me « nigger lover ». It was a lesson that people can hate for no good reason » ( Uncut, avril 2004 ). Le texte seul suffirait déjà à la renommée de cette adolescente mais la musique subtilement produite par George « shadow » Morton ( eh oui, le sorcier derrière le son des standards des Shangri La’s ( celui qui me souffle que tout se tient, je l’embrasse)) élève le morceau au niveau du classique . Le clavecin baroquisant en intro et la voix en retrait au refrain adoucissent ce qui aurait pu facilement devenir un redoutable pensum mais Janis Ian n’a rien d’une Alanis Morrissette, du moins pas sur ce titre ni sur At seventeen dont je veux absolument vous entretenir maintenant. Si vous ne connaissez pas la version originale, il y’a peu de doute que celle de Claude François vous ait échappé. Ce n’est pas, et de loin, la pire adaptation qu’il ait enregistré ( celle de Reach out I’ll be there ( j'attendrai ) mérite la corde ) et pour une fois, le texte ( écrit par Eddie Marnay ) colle à peu près à sa bio ( ou du moins ce que j’en imagine ) en retraçant la solitude d’un garçon désargenté dans le Nice de la fin des années cinquante ( J’ai fait l’amour solitairement chante-t-il même : cette évocation de la masturbation est plutôt rare dans la variété française giscardienne et à fortiori dans le répertoire de Cloclo pour être signalée : gageons qu’après le succès de Belles, belles, belles, ses nombreuses conquêtes remplacèrent avantageusement la Veuve poignet ) . Hélas, le maniérisme incroyable de la voix de l’idole de Dannemois et des arrangements qui trahissent les promesses de simplicité du premier couplet empêchent la reprise de se hisser à la hauteur de l’original. Là où Eddie Marnay s’en tient strictement au complexe d’infériorité sociale de l’adolescent niçois, Janis évoque en sus l’âpreté de la disgrâce physique, thème encore plus rarement abordé que l’onanisme. Janis Ian, jeune, n’avait rien d’une Aphrodite et on a du mal à imaginer que l’acné virulente de ses seize ans ne l’ait pas inspiré lorsqu’elle écrivit :
And those of us with ravaged faces
lacking in the social graces
desperately remained at home
inventing lovers on the phone
who called to say - come dance with me
and murmured vague obscenities
it isn't all it seems at seventeen

Passe sur ce couplet comme sur celui qui précède et ceux qui suivent un parfum amer de vérité qui colle la chair de poule. Là encore, les arrangements ( une guitare bossa nova , une trompette à la Bacharach sur le pont instrumental ) enrobent de douceur des paroles qui ne sont que plaies et blessures. Et c’est parce que ces choses là sont dites dans la retenue qu’elles gardent toute leur force trente ans après lorsqu’on les découvre à nouveau.

1 comment:

Eric Aussudre said...

Très touché par vos encouragements !
La voix de Janis est parfois un peu âpre mais ces textes ont une impudeur qui me désarme...