Friday, June 23, 2006

Sacred cow

Buckley Grace

Ah les amis, quelle guigne de mourir jeune et en pleine gloire ! La postérité ne vous laissera aucun répit. Vous voilà condamné aux louanges éternelles et aux Gifs scintillants sur des Skyblogs adolescents. Pas moyen de se la couler douce en tapant une belote avec Monsieur Saint-Pierre. Non, les moindres faits et gestes de votre courte existence seront traqués, consignés et vendus à des adulateurs de moins en moins regardant. L’immortalité, cette goulue, se paiera au prix fort ! Dylan, toujours avisé lui, aura eu la sagesse de ne pas mourir à 25 ans d’un accident de moto. Ainsi, il aura pu échapper aux marchands d’icônes et connaître l’inévitable déclin artistique et physique de la trentaine. Il m’a toujours semblé qu’un artiste demeure à jamais incomplet s’il n’a pas à un moment où à un autre de sa carrière connu l’éclipse qui suit la prime splendeur. Ces éclipses, si j’évoque des artistes aimés, c’est Sinatra tirant dans le matelas pour faire croire à Ava Gardner qu’il se suicidait, c’est Elvis poussah obèse à Vegas, c’est Brian Wilson, à peine moins gros, tâchant de monter sur une planche de surf sur Malibu Beach ou c’est encore Dylan reprenant Simon & Garfunkel. Car pour reparaître, il faut d’abord avoir sombré. Jeff Buckley, hélas pour lui, n’est jamais remonté à la surface. Il ne nous reste donc qu’un mythe inusable et un seul véritable album,Grace , album que pour tout un tas de raisons, je n’avais jamais écouté intégralement. Constatant l’émotion que cet album continuait de susciter chez pas mal de mes condisciples, je décidai de prendre le taureau par l’icône et de passer Grace sur la platine. Bon, et je suis au regret de l’écrire, l’audition intégrale de ce disque ne change pas fondamentalement mon point de vue sur l’auteur d’ Eternal life. Là où certains ont parlé d’un lyrisme exceptionnel, de transe hypnotique ou de vocalises à couper le souffle, je n’ai pour ma part entendu que des progressions d’accords assez identiques d’une chanson à l’autre, des influences pas toujours bien digérées (le mimétisme avec Robert Plant à la fin de So real en est même gênant) et un chant maniéré, dont la modestie, c’est le moins que l’on puisse dire, n’était pas la vertu première. Oui, oui, ok, il avait quatre octaves en magasin mais, désolé, je ne cours pas après ces sons perpétuellement détimbrés et ces inflexions à la limite de la préciosité. Je lui concède malgré tout un très beau contrôle du souffle (tout le début de Lilac Wine) et des pianissimi assez incroyables (notamment sur Hallelujah (même si je continuerai à préferer la version de Rufus Wainwright)). Les compositions qui lui sont propre, à une glorieuse exception près, ne me font pas plus d’effets que cela (Last Goodbye avec ses accents à la Jamiroquaï aurait même tendance à me faire fuir) et quant aux textes, je préfère laisser reposer un voile pudique dessus. Je me suis déjà fâché avec suffisamment de gens en ironisant sur la « poésie » des textes de Jim Morrison pour ne pas en rajouter une couche. Je n’aimerai cependant pas terminer sans reconnaître les vertus du morceau qui termine l’album, Dream brother. Envoûtant, tordu et admirablement produit, il nous laisse entrevoir ce que Jeff Buckley aurait sans doute réussi en abandonnant ses ailes d’ange pour revêtir une tunique humaine.

10 comments:

Anonymous said...

Chacun ses goûts bien évidemment.
Pas question d'essayer de te persuader que Jeff Buckley est le plus grand chanteur du 20ème siècle.
Juste dire au passage que ce post est manifestement écrit par un SonicEric qui n'a jamais eu la chance de voir Jeff Buckley en concert... Et je doute qu'une écoute de son album soit suffisante à en goûter toutes les nuances et finesses.
Finalement, je vois dans ton billet comme un peu de mauvaise foi qui traînerait entre les lignes... Je me trompe ? (et tu dois te douter que tu vas avoir un bon nombre de commentaires bien plus outrés que les miens !)

Jocelyn Manchec said...

De Sacred Cow à Scarecrow...il y a fort peu.
Bien joué mon Toc-Toc !

Eric Aussudre said...

Et pourtant, Rorschach, je sais que tu seras dubitatif mais j'ai tâché d'user de la nuance et de gommer cette fameuse mauvaise foi qui souvent m'aveugle. Simplement, c'est la foi qui me fait sortir les griffes. L'encensoir et l'eau bénite maniés sans modération me prennent vite le chou. Jeff Buckley n'y peut évidemment rien et je pense qu'il est plus intéressant de réécouter ces disques (quitte à ne pas dire Amen à tout) que de le placer sur un piédestal et de ne plus l'en faire bouger !

Anonymous said...

c'est vrai qu'il a pas trop eu le temps de sortir son album parfait, le travail qu'il laisse derrière lui est peut-être immature et brouillon par certains côtés, mais c'est tout de même un démarrage sur les chapeaux de roue, il demeure une promesse et c un peu frustrant

Berlin Belleville said...

Il est également interessant de constater que la chanson qui vient automatiquement quand on pense à Jeff Buckley est Hallelujah, qu'une autre icone (Leonard Cohen) avait magnifiquement interprétés...Les icones mystérieuses se répondent...

L'Anonyme de Chateau Rouge said...

Grace c'est celle de l'adolescence a jamais perdue, c'est pourquoi cet album touche encore ma génération. la nostalgie. L'album en lui même n'est pas un chef d'oeuvre, c'est juste des chansons. Mais je comprend mes camarades d'âge, même si j'ai du écouter l'album 2 fois dans ma vie. Par contre Dream Brother n'a pas quitter mon Mac depuis bien 3 ans, il avait quitté mon disque dur le temps de changer d'ordinateur, avant dream brother n'avait pas quitter mon pc depuis la sortie de l'album. Dream Brother est un bijou. Hallelujah Rufus Wainwright est un génie qui a le bon gout de ne pas faire la course dans le mississipi totalement bourré...pas comme certain...

Anonymous said...

Vous êtes au moins deux (dont l'auteur du post en question à avouer n'avoir que très peu écouter l'album... Je comprends donc un peu mieux votre position.
En ce qui me concerne, et pour l'avoir épuisé (j'en connais chaque seconde par coeur), je puis AFFIRMER que "Grace" est un album parfait, parfaitement arrangé (merci Van Dyke Parks), avec de grandes grandes chansons, une cohérence dans l'éclectisme assez épatante...
Jeff Buckley n'aurait peut-être jamais fait mieux que cet album, je n'en regrette pas moins sa disparition.
Et pour répondre à l'Anonyme du Château Rouge, ce qui fait la force de cet album, je crois, c'est justement de n'être pas un album générationnel à la "Nevermind" ou à la "The queen is dead".
"Grace" continue encore, me semble-t-il, à être en tête des ventes.
Et, encore une fois, qui n'a pas vu/entendu Jeff chanter en chair et en os ne pourra sûrement jamais mesurer à quel point ce type était un extra-terrestre !(j'ai soigneusement choisi mon mot ;-)

Anonymous said...

Ouai bah je sais pas ce qui vous faut comme musique, mais y'a un peu des blasés!Jeff est un des plus grands artistes des 90s et pas seulement, et ce n'est pas moi qui le dit!Aprés si il faut sortir un article en disant qu'en fait il est pas si exceptionnel juste pour se démarquer et se vanter d'avoir une culture musicale, c'est assez nul!Descendre, ne serait ce qu'un peu, un tel emblème est risible enfin aprés chacun ses gouts, si on n'aime pas ce type de musique ce'st sur...

Eric Aussudre said...

Si ça vous fait plaisir, anonyme lecteur mais,désolé, les " sommations d'admirer", ca aurait plutôt tendance à me braquer ...

Pitseleh said...

Je suis farouchement et totalement... d'accord à tous points de vue tant la musique de Jeff Buckley ne m'a jamais touché. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir essayé, mais là où les mélodies d'Elliott Smith me crucifient celles de Buckley me laissent de marbre. Pas grave...