Sunday, November 12, 2006

Plaidoyer pour une vieille barbe

Anatole-France-1
Il reçut le prix Nobel de littérature en 1921 mais dans son pourtant très fourni Dictionnaire égoïste de la Littérature française (962 pages), Charles Dantzig ne lui accorde pas le moindre article.
Le Lagarde et Michard vingtième siècle (dans l’édition qui accompagna ma première A2) le gratifie de 10 pages, soit plus que Céline et presque autant qu’Albert Camus. Pourtant, aujourd’hui, plus aucun instituteur ne puise ses dictées au fil des pages du Livre de mon ami.
Plus de deux cent mille personnes suivirent son dernier cortège mais ces funérailles officielles furent raillés par les surréalistes et Aragon* écrivit dans Avez-vous déjà giflé un mort : « Je tiens tout admirateur d’Anatole France pour un être dégradé ».
Même mon ami luc B., si fin connaisseur de la chose littéraire, qui me fit découvrir Emmanuel Bove et Georges Hyvernaud et tant d’autres bons auteurs m’avait sérieusement mis en garde après l’avoir relu : « il est encore plus mauvais qu’on ne le dit »
.
La messe était dite, le tombeau semblait refermé à jamais. Néanmoins, quelques voix s’élevaient pour rouvrir le dossier. Bernard Frank, dont nous ne lirons plus désormais la chronique malicieuse et irritante dans Le Nouvel Observateur avait commencé à dépoussiérer le bicorne du vieil académicien. En rééditant en un seul volume les 4 partie d’Histoire contemporaine en 2004, la Table Ronde fait de même en permettant à une nouvelle génération de lecteurs d’accéder à un monument romanesque presque totalement tombé dans l’oubli.
Entamant L’orme du mail, le premier tome de la série, j’étais curieux de voir ce qu’avait pu produire l’inspirateur de Bergotte. Décourageons d’entrée nos lecteurs à la tête épique, ils n’y trouveront ni ce qui fait le sel d’une grande saga romanesque (lyrisme, rebondissements, élans du cœur et du corps), ni le tableau révolté et implacable des misères du temps. Non, Histoire contemporaine, du moins dans sa première partie, c’est une suite de petites saynètes où des quinquagénaires repus discutent scolastique et république et dont le fil conducteur est la rivalité de deux abbés pour accéder à l’épiscopat de Tourcoing. Avouons qu’on a connu plus sexy comme pitch. Avouons aussi, que sur un sujet pas si loin, le Curé de Tours de Balzac offrait un tableau de mœurs autrement plus féroce. Non, L’orme du mail n’est pas exempt de défauts : certaines tournures sentent franchement leur académie et la répétition des identités à chaque apparition des personnages finit franchement par lasser.
Pourtant, il ne m’a fallu que quelques jours pour venir à bout des cent cinquante pages de ce livre (chez moi, un exploit !) et l’intérêt, aussi paradoxal que cela puisse paraître, se maintient jusqu’à la dernière ligne. La raison ? Un style d’honnête homme qui rechigne à « l’esbrouffe » mais qui sait croquer ses personnages comme personne (« Mariée à un habile homme qui l’avait épousée pour sa fortune, elle macérait en une onctueuse piété, tandis que son mari faisait ses affaires dans l’anticléricalisme et les laïcisations »). Et aussi la placidité de son personnage principal, Monsieur Bergeret, maître de conférences à la faculté de Lettres, malheureux dans sa vie privée, méprisé par sa hiérarchie qui défend la République (un peu sans doute comme France lui-même) parce qu’à l’inverse des « pouvoirs forts », elle protège l’individu et le laisse vivre en paix : « Ce régime [la République] est, peu s’en faut, tel que vous le représentez. Et c’est encore celui que je préfère. Tous les liens y sont relâchés, ce qui affaiblit l’ État, mais soulage les personnes, et procure une certaine facilité de vivre, et une liberté que détruisent malheureusement les tyrannies locales »
« Le scepticisme, l’ironie, la lâcheté… France… un grand souffle d’oubli me traîne loin de tout cela… de ce qui déshonore la vie ». Eluard résumait ainsi l’œuvre de l’auteur des Dieux ont soif. Il, comme d’autres, ne lui pardonnait pas d’avoir écrit contre la Révolution quand la passion et la formation du mythe révolutionnaire étaient à leur apogée (Il savait, lui, ce que 93 avait fait perdre de plume à l’humanité entière). Mais à moi me plaisent son scepticisme de « bonnet de nuit » et son goût pour le doute. J’y vois un antidote savoureux aux passions totalitaires qui, une fois son cadavre définitivement froid, n’allaient pas tarder à se déchaîner.

4 comments:

coolbeans said...

Bon... je n'ai jamais lu Anatole France. Pas sûr que tu m'aies vraiment donné envie de le lire.
On verra quand j'aurai fini mon Stephen King et mon Juliette Benzoni...

Eric Aussudre said...

Pas sûr non plus que cela te plaise. Je ne suis pas toujours farouchement "moderne" dans mes goûts comme tu as déjà pu le constater...

Anonymous said...

J'aime ta culture de la différnec très Nouvel Obs. Oui, quitte à réhabiliter quelques froids cadavres, pourquoi pas celui d'Anatole ? Tu ne m'as pas convaincu même si ton blog est de (grande) qualité (hormis quelques fautes d'orthographe habituelles).
Ton odieux de Nantes

Eric Aussudre said...

Le deuxième volet, Le Mannequin d'osier consacré aux affres domestiques de ce bon M. Bergeret est encore meilleur que L'Orme du mail