Pris à rebrousse-poil par cette couverture de The Economist (datée de novembre 2006), j'avais envie d'en savoir plus sur celle qu'on présentait comme le modèle à suivre du futur président de la République. Margaret Thatcher... Pas une inconnue assurément mais il fallut me rendre à l'évidence, en dehors de la Poll tax, de ses tailleurs rayés et de la Guerre des Malouines, mes souvenirs manquaient de netteté. En fait, pour la majorité des gens qui, comme moi, avaient 18 ans au moment de la sortie du single de Renaud (1985), Maggie Thatcher, c'était l'ennemi, l'épouvantai! qu'on brandissait à chaque fois que l'interlocuteur ne se trouvait pas du « bon côté », c'est à dire du nôtre. Mais à l'époque, je n'allais pas forcément chercher plus loin. Mon ami anglais, Rogan, détestait aussi son Prime minister même s'il reconnaissait (ce qui m'avait choqué à l'époque) qu'elle avait été irréprochable au moment des Falklands.
Tout ce préambule pour vous dire que le livre de Jean Louis Thiériot, Margaret Thatcher, de l'épicerie à la Chambre des Lords tomba vraiment à point nommé. Autant l'écrire tout de suite, sa biographie est passionnante et se lit d'une seule traite. L'auteur a le sens de la formule, de l'épithète qui fait mouche et il sait mener son récit sans temps mort même lorsqu'il s'attarde sur les finasseries du vote des lois aux Communes. C'est vrai aussi que son personnage est fascinant. Je le suspectais mais pas autant. Dans un pays encore marqué par le système des castes, son ascension sociale impressionne (de la petite épicerie au G8, il y'a tout de même « un monde »), sa détermination force le respect (en 1980, alors que tout le pays est contre elle, que le nombre de chômeurs ne cesse d'augmenter et que son propre parti grince des dents, elle maintient le cap de la réduction des dépenses budgétaires, quoiqu'il puisse lui en coûter dans l'opinion) et sa pugnacité déconcerte (alors que l'hôtel dans lequel se passe le congrès du parti conservateur à Brighton et où elle réside est ravagée par un attentat de l'IRA, elle ouvre comme prévu le congrès le lendemain matin à 9h30 avec un brushing impeccable,).
Ce que je ne comprenais pas jusqu'alors, c'est comment elle avait réussi à être réélu deux fois, alors qu'elle avait accéléré la désindustrialisation du Royaume-Uni et qu'elle avait sciemment laissé se paupériser des pans entiers du pays. Jean-Louis Thériot explique très bien pourquoi cette réalité ne l'a jamais empêché d'être incroyablement populaire (après 1982, surtout). Sa popularité, elle la doit à ce qui est au cœur du projet thatchérien, faire de l'Angleterre, une «démocratie de propriétaires ». En alignant le régime des prêts immobiliers sur le droit commun, en maintenant les taux subventionnés et les déductions d'impôts sur les intérêts d'emprunts pour l'achat de la résidence principale, elle a largement favorisé l’accès à la propriété privée et ainsi « droitisé » une large partie de la classe moyenne.
La biographie qu'a réalisée Jean-Louis Thiériot serait parfaite (en dehors de deux imprécisions indignes d'une telle entreprise (Ken Loach n'a jamais réalisé Les Virtuoses et la coupe du monde de 1988 n’a jamais eu lieu) si seulement il avait pu un peu oublier son premier métier. Car, en revêtant la robe de l’avocat , Jean-Louis Thiériot s’exonère plus souvent qu’il n’est permis de la nécessaire distance critique de l’historien. En voulant à tout prix écrire la plus belle de ses plaidoiries, il caricature ses adversaires (Delors, Heseltine, Kinnock), force le trait et minimise un peu trop les défauts de sa protégée. Même s’il lui reconnaît un orgueil démesuré et une morale terriblement manichéenne (en gros, les assistés et les méritants), il la dédouane un peu rapidement de ses mauvaises actions (j’avais oublié par exemple qu’elle fit mettre aux voix le rétablissement de la peine de mort, ce à quoi, heureusement, les Commune s’opposèrent) et d’une vision franchement « rétrécie » de l’avenir (elle a fait des coupes sombres dans le budget de la Recherche et milité dès 1986 en faveur d’une Europe « souverainiste »)
Bien sûr, Thiériot a beau jeu de rappeler que la plupart des défis de Margaret Thatcher se sont révélés payants et que certainement une part de la réussite économique de Tony Blair lui incombe (inflation jugulée, croissance supérieure à celle des autres pays de l’Europe de l’ouest, chômage stabilisé à 5% de la population active) mais on ne peut s’empêcher de penser que la manière dont elle a brutalisé la société anglaise a certainement fait beaucoup pour la destruction des anciennes solidarités, familiales et professionnelles et que les nouvelles élites qu’elle a contribué à créer (celles des Yuppies et des Golden Boys) ont dessiné une Angleterre qu’il devenait soudainement plus difficile de goûter.
Monday, May 21, 2007
Miss maggie
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4 comments:
Voilà une mère que Mathieu ne renierait pas et à bien des égards, le dicton populaire "Tel père, tel fils" semble encore une fois pouvoir s'appliquer avec une relative justesse. J'aime ta lucidité, même si elle fonctionne par intermittence. On comprend que tu lises les Mémoires de Talleyrand; passe encore que tu t'extasies sur une biographie de Marie Antoinette qui t'arrache quelques larmes... ton goût pour les soap est après tout de saison. Mais te voici désormais à une révolution culturelle qui promet : à quand la lecture extatique et extasiée de Brasillach, de Pinochet, de Ceaucescu ? Ah! qu'il est doux de regarder l'avenir quand on a des amis comme toi qui choisissent, en ces temps déjà bien déprimants, des livres de chevet où puiser des modèles de vertu et d'avenir!
Bises
L'odieux de Nantes
Ah, que serait ce blog sans ta légendaire mauvaise foi !
Amalgame, confusion et rapprochements douteux, le Nantais a encore frappé. Décidément, tu as bien fait de ne pas enseigner l'histoire. Tes cours auraient eu la rigueur scientifique de la Pravda et la tolérance d'Al Jazira .
L'Angleterre d'alors était donc aussi masochiste que la France d'aujourd'hui ?
Pas forcément! Ceux qui avaient le plus à perdre (mineurs, fonctionnaires, chercheurs) ont rarement voté pour elle...
Sonic Eric
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