Monday, August 27, 2007

Totally Frank


Ol’blue eyes, ce prince de l’équivoque, convient bien à notre époque. Souverainement ambigu, il colle parfaitement à un temps où le goût pour les personnages monolithiques semble définitivement perdu. Impossible d’avoir un avis tranché sur un homme qui a endossé tant de défroques et qui a côtoyé tant de personnalités différentes. Kennedy, Dean Martin, Marylin, Lucky Luciano, Bono, Mia Farrow, Reagan. Je n’ai pas envie de choisir entre l’amphitryon généreux, le défenseur indéfectible des droits civiques et l’odieux bully, humiliant le petit personnel des palaces de Vegas ou le reaganophile jouant à Sun City. Je prends Sinatra en bloc, le trompettiste héroïnomane de L’homme aux bras d’or comme le papy à moumoute faisant des apparitions dans Who’s the boss. Ce type me fascine et moi qui croyait vénérer plus que tout sa période Capitol (en gros 1953-1962), je me découvre entiché d’un de ses ultimes albums studios, She shot me down (1981). A 66 ans, The chairman of the board décide enfin d’arrêter de se rajeunir artificiellement en reprenant des succès au goût du jour (comme You are the sunshine of my life et Sweet Caroline sur Some Nice Things I've Missed par exemple) et délivre un album crépusculaire totalement anachronique . Frank tourne définitivement le dos au public jeune et revient, pour un ultime round, aux saloon-and-suicide songs d 'Only for the lonely ou No one cares. La pochette est déjà un bon présage pour les amoureux de ce Sinatra-là : cendar, clope, bourbon et complément capillaire, une formule qui déçoit rarement. La voix n’a certes plus le vif-argent des années Columbia mais si elle a perdu en éclat et en souplesse, elle a gagné en mordant et en intensité. Jenkins, si constamment déprécié par les exégètes de The Voice, fait encore ici merveille. Chacune de ses introductions sont des poèmes symphoniques miniatures (notamment les 20 secondes soufflantes précédant Monday morning Quarterback). Et comment ne pas se laisser emporter par les superlatifs lorsqu’on écoute le traitement quasi-opératique que l’arrangeur de Where did everyone go fait subir au Bang bang de Sonny Bono (dont les mots du refrain donnent d’ailleurs le titre à l’album) ?
Rétrospectif, méditatif et puissamment nostalgique, She shot me down est le vrai chant du cygne d’un chanteur auquel il restait malgré tout plus de quinze ans à vivre. Mais laissez-moi croire que vous ne commencerez pas votre découverte du maître par la pitoyable mascarade de Duets (I et II) où Frank, au seuil du tombeau, laisse les corbeaux rafler la mise une dernière fois.

Pour ceux qui veulent tout connaître de ce géant, un site parfait.

4 comments:

Jocelyn Manchec said...

Qu'ils sont rares, y compris dans les feuillets ad hoc puisqu'officiels, ceusses qui, en une poignée de lignes, vibrantes, vivantes, chaleureuses et communicatives, savent transmettre la passion ou suggerer la découverte séance tenante.
Vous en êtes, cher Sonic
(et que Michka Assayas souffre sans le savoir de ne vous point connaître, dites !
- j'ai cet honneur quant à moi)...

Eric Aussudre said...

Sincèrement touché par ton petit mot, ami Mariaque, mais je n'ai pas grand mérite tant mon immersion, cet été, dans le monde des crooners a été totale.
je crains que ceux qui se désespèrent de m'entendre parler de musiques actuelles n'aient encore à patienter.

Jocelyn Manchec said...

La mienne, d'immersion estivale, fut dans le Magret de Canard, le Madiran et le Tariquet Preemières Grives, le Chèvre d'Escanecrabe et la Prune du Comminges...
Ma balance a plus à en dire que moi, je ne me ferai donc pas prosélyte...

En guise de musiques actuelles, j'entendis sur le chemin du retour Radio Nova vantant le dernier Imperial Teen, le nouveau Go! Team et les projets solos d'ex-Manitoba ou d'anciens Faith No More: pures relectures des B-52's, des Zombies, des Beach Boys et du psychédélisme le plus révérencieux..., autant se repasser les originaux, nan ?

Alors voui, vive Frankie !

coolbeans said...

ça t'apprendra à écouter RadioNova dans ton camping-car, Mariaque !