Il y a une légende tenace dans le milieu des chroniqueurs Soul, qui veut que Marvin Gaye n’a jamais été capable d’être un crooner accompli. On sait que durant ses flamboyantes années Motown, il ne rêvait que de chanter des standards du Great american songbook et que Berry Gordy ne lui collait entre les mains que d’ imparables rythm’n’blues up-tempo. Par deux fois, on lui laissa enregistrer ces torch-songs qu’il affectionnait tant (When I’m alone I cry et A tribute to the great Nat King Cole ( son seul vrai maître, je pense) mais le succès ne fut pas au rendez-vous et Marvin dut rempiler dans son emploi habituel. Il récidiva une troisième fois en 1967 mais n’étant pas satisfait du résultat, il refusa de le laisser publier. Pendant dix ans, en collaboration avec l’arrangeur Bobby Scott, il remit cent fois ces sept chansons sur le métier, peaufinant chaque nuance et entrecroisant ses trois voix ad libitum (« piercing falsetto, smooth mid-range and impassioned growl », David Ritz). Il était convaincu d’avoir livré au monde son chef d’œuvre. On parle tout de même d’un type qui avait déjà enregistré deux des plus beaux albums de soul, pour ne pas dire les deux plus beaux (What’s going on et Here, my dear). Mais Gordy fut intraitable et ces ballades moisirent pendant des années sur une étagère chez Motown. Jusqu’à ce que Candace Bond et Amy Herot (que ces bienfaiteurs de l’humanité soient ici bénis), cadres pour la firme de Detroit, décident enfin en 1997 de sortir ce trésor. Aussi désespéré que Sinatra sings Only for the lonely, aussi désenchanté que Where did everything go, Vulnerable est l’album soul ultime, celui dont Didier Lestrade dans Libération écrivait qu'il "respirait le talisman. [...] Un disque magistral, triste à pleurer. Oubliez tout le reste et plongez dans ce chef d'oeuvre".
6 comments:
Ce pauvre Boileau, toujours cité et mal cité! N'en déplaisent à certains, ce n'est que "vingt fois sur le métier, remettez votre ouivrage!" qu'il écrivit! Sans doute n'est-ce pas assez, à défaut d'être suffisant. Je ne sais d'autre part ce que peut signifier "ultime" employé visiblement comme un superlatif à la mode, le nec plus ultra du snobisme adjectival actuel. Je regrette enfin que tu ne qualifies pas cette voix, en cherchant ici à rendre compte de qui t'émeut en elle, de sa part charnelle, d'ombre et de lumière et que tu te complaises à citer d'autres critiques, dont la complaisance stylistique n'a d'égale que la vacuité du sens qu'ils profèrent. Tu ne m'as pas habitué à de telles facilités et j'attends avec hâtre ton prochain blog. Incandescent et génial, comme tu peux l'être.
L'odieux de Nantes, qui ne t'aime que tel qu'en toi-même : unique et tendrement violent.
Il a bon dos Boileau.
Si Marvin a remis cent fois sur le métier, il a remis cent fois !
Je fais confiance à notre bon Sonic, sur le coup !
" Incandescent et génial ", voilà qui s'applique au soul brother number one mais pas à moi, hélas!
je l'ai acheté il y a des années, ce disque, au moment de sa sortie je crois. C'est sans doute, du point de vue de Marvin Gaye son disque le plus abouti. Il est parfait, certes, trop, tellement léché que je n'ai pas pu trouver une seule aspérité pour y entrer. Mais peut-être que je devrais tout simplement le ressortir et l'écouter :-)
bruno
Peut-être faut-il attendre d'être soi même vulnérable pour se laisser happer par ce maelström...
hum hum Anonymous qui fustige tes facilités, dixit, mais qui dégaine par deux fois l'oxymore "incandescent et génial", "tendrement violent"....hum, mais toi aussi, Anonymous, t'es mieux inspiré d'hab.....non?
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