Wednesday, June 10, 2009

Comme leur nom l'indique


Pour de nombreux exégètes du Motown sound , la fin de la période dorée du label de Detroit coïncide avec le départ du trio magique (Holland-Dozier-Holland) (début 1968). L'invraisemblable palanquée de hits concoctée par ces trois-là n'a, il est vrai, guère d'équivalent dans toute l'histoire de la musique populaire en qualité comme en pérennité (Je vous fais grâce de tous les artistes qui à un moment ou l'autre de leur existence se sont servi de leurs compositions pour relancer leur carrière moribonde). Certains autres remontent même au moment fatidique où Diana Ross exigea de Berry Gordy (tout de sucre devant Lady Di) de rebaptiser son groupe Diana Ross & The Supremes (fin 1966) pour dater le début de la fin. Pas besoin d'avoir lu Antony Beevor pour savoir que c'est la vanité qui toujours précipite les plus grands desseins dans l'abîme. Les Supremes ne résisteront pas à cette modification sémantique et Diana Ross quittera rapidement le navire, laissant le groupe dériver jusqu'à sa dissolution en 1977. Motown n'a jamais été connu pour être redevable de son succès à aucun de ses protégés et laissera mourir Florence Ballard, l'une des authentiques Supremes (ce fut sans doute elle qui choisit ce nom) , dans la misère la plus noire. Comme les Four Tops, Les Supremes ont été négligés par le Tycoon of black teens dès lors que le succès n'était plus aussi incontesté. Dans ces conditions, il n'est donc pas vraiment étonnant que Tamla ait été plutôt pingre en matière de réédition des dernières oeuvres de Diana avec le groupe qui la fit connaître. De Love child (le dernier numéro 1 des Supremes, au printemps 1968) à leur dernière apparition publique au Ed Sullivan Show, le 21 décembre 1969 s'étend un véritable trou noir dans la réputation du groupe alors qu'elles parvinrent, mine de rien à placer pas moins de 8 singles dans le Top 50 et cinq albums dans le Top 40. Un déclin somme toute relatif mais qui ne peut se comprendre qu'au regard de la faramineuse brochette de numéros 1 de 1964 et de 1966 (où seuls les Beatles jouaient dans la même cour). Parmi les singles post Love child, connus seulement des vrais addicts se trouve un petit bijou permettant d'expliquer en partie la désaffection dont souffrit les Supremes à la fin des sixties: I'm living in shame. Les Supremes devant une partie de leur succès au fait qu'elles surent faire oublier leur appartenance ethnique, l'affirmation du "black is beautiful" les trouva le séant entre deux chaises. Trop "blanches" pour plaire aux tenants du black power , trop "noires" pour pouvoir intégrer d'un coup le circuit Mainstream où s'illustreront notamment les Carpenters. Sur ce titre, signé Harvey Fuqua et Johnny Bristol (entre autres), on sent une volonté un peu artificielle de se mettre au goût du jour (la narratrice regrette d'avoir coupé les ponts avec son milieu d'origine, glauque et fauché), de surfer sur la crête du succès des Temptations (plus connotés afro américains que les Supremes) et pourtant, malgré ce côté plaqué du texte, le titre se révèle un enchantement. Peut-être parce que les vieilles recettes fonctionnent encore (le xylophone au refrain, la rythmique démoniaque en intro, le parfait contrôle du vibrato d'une Diana plus sophistiquée que jamais) et aussi parce que la future héroine de The Wiz qui avait pourtant les yeux braqués sur sa future carrière solo semblait alors bien incapable de délivrer une performance simplement moyenne. L'excellence était son ordinaire.
Diana Ross & The Supremes : I'm livin' in shame

5 comments:

Christophe said...

ça tue !!
merci pour ce titre qu'effectivement je ne connaissais pas alors que je croyais être un amateur des Supremes.

et félicitations pour la qualité de votre texte.

Eric Aussudre said...

Merci Christophe !A noter (et je sais que tu y seras sensible!) que le Mama, can you hear me ? qui précède le refrain est directement inspiré d'un dialogue d'Imitation of life de Sirk

Christophe said...

oui, c'est vrai que les deux oeuvres racontent un peu la même histoire d'une jeune fille noire qui a honte de sa mère.
ce qui est extraordinaire, c'est que la tonalité de la chanson n'est pas du tout pathétique. comme tu le souligne, il y a un décalage hallucinant avec les paroles. plutôt qu'une limite, je vois ça comme une des grandeurs de la pop, c'est une sorte de pudeur, comme par exemple When all is said and done de Abba où la fille chante des choses très amères sur son couple, elle s'efforce de chanter sur un ton très enjoué mais l'émotion affleure quand même au détour de certaines phrases. mais bon, ça nous éloigne du sujet, la fille d'Abba vivait ce qu'elle chantait à l'époque.

Eric Aussudre said...

When all is said and done! J'aime beaucoup cette chanson aussi. Le décalage que j'évoquais portait plutôt sur ce que les Supremes représentaient et les valeurs véhiculées par la plupart des artistes afroaméricains en 1968-1969. Car j'apprécie tout comme toiparticulièrement la réticence à s'épancher de Miss Ross !

Pitseleh said...

Finalement c'était une belle époque que celle des songwriters professionnels. Mine de rien ce sont des gens comme Holland-Dozier-Holland, Elie Greenwich, Jeff Barry, Leiber & Stoller et d'autres qui ont composé la grammaire de la pop. Les suivants - Beatles inclus - ont su faire pousser de beaux fruits sur ces plants, mais toute la base était là.