Thursday, April 22, 2010

La nuit, le jour et toutes les autres nuits


Michel Audiard n'a pas les fans qu'il mérite. Des plateaux télé aux fins de banquet arrosées, on le cite à tort et à travers pour mettre les rieurs de son côté. Pas sûr qu'il aurait aimé qu'on ne retienne de lui que les dialogues des Tontons flingueurs ou des Morfalous. Comme Gainsbourg qui considérait la chanson (qui le faisait vivre et bien vivre) comme un art mineur, Audiard n'aimait rien tant (moitié lucide, moitié roublard) que dénigrer le cinéma qui l'avait rendu riche et recherché. Son truc à lui, c'était plus la littérature. Certes pas du genre à fatiguer ses interlocuteurs de cuistres références mais toqué de l'ermite de Meudon comme de l'asthmatique du Boulevard Haussmann ou du poète de Charleville. Comme Walsh qui lors d'un tournage se cachait pour lire La chartreuse de Parme, l'homme à la casquette prenait soin de dissimuler le Voyage sous l'Equipe et La Recherche sous Paris-Turf. Son seul vrai roman, La nuit, le jour et toutes les autres nuits témoigne de cette dévotion-là (il cherche d'ailleurs noise à une rombière qui ne veut pas d'une rue Céline à Meudon) et montre qu'Audiard n'était pas qu'un dialoguiste hors-pair. C'était aussi un écrivain. Mauvais coucheur, xénophobe à ses heures mais un écrivain.
La nuit, c'est la blessure à vif qui ouvre le livre, la perte de son fils François dans un accident de voiture, le 19 janvier 1975. Devenu amer, nihiliste même, Audiard délaisse le pittoresque* qui a fait sa gloire pour, comme il l'écrit, "laisser défiler les souvenirs suivant un protocole où la mort règne". Mort de Pierrot lors d'un bombardement américain, mort des enfants d'Aristide dans le déraillement du Paris-Hendaye, mort de Myrette, violée, tondue et dépecée par les porte-flingues de l'épuration. Seul havre de paix dans ce monde oublieux des chagrins et des êtres, le cimetière de Montrouge où le narrateur reparle du temps passé avec ses chers défunts. Cela ne surprendra pas ceux qui apprécient la "bête noire" des cinéastes de la Nouvelle Vague, les souvenirs de l'Occupation d'Audiard penchent davantage vers La traversée de paris que vers Le dernier métro. Comme le Brassens des Deux Oncles, le scénariste des Barbouzes renvoie dos à dos résistants et collabos ("Les autres, de soldats, y compris ceux "de l'ombre", se confondent dans la même sauce tomate; se valant tous, fondamentalement hystériques, blouseurs-blousés, tellement monstrueusement semblables qu'on s'emberlificote dans leur destin poisseux"). La guerre, il l'a faite comme commissionnaire, vaguement livreur de journaux, arpentant la capitale à bicyclette (sa deuxième passion après les bouquins), spectateur d'une "exquise peuplade", les "hexagonaux", ("poivrots, combinards, délateurs, lèche-train, anonymographes"). Comme tant d'autres ni FFI, ni miliciens, Audiard a juste essayé de passer entre les flaques dans une période et une ville (Paname) où ce n'était pas si facile (je vous reparlerai bientôt du Trenet de l'occupation). Mais le discours qu'il tient sur cette époque, pour contestable qu'il soit, mérite d'être entendu : " J'ai jamais vu énormément de manifs devant les affiches rouges. Tout le monde avait, il faut bien le dire, autre chose à foutre...cavaler au crémier... apprendre les nouveaux pas de danse...repeindre les vélos volés...trouver du charbon. Quand vint le temps chaud, le beau soleil de 44, lorsque d'autres fumiers alignèrent d'autres fumiers à d'autres poteaux, les préoccupations restèrent identiques, plus frivoles à peine...ice-cream...chewing-gum...Lucky Strike"). L'héroïsme tardif des maquisards en peau de lapin, voila son cauchemar, au dialoguiste des Barbouzes. Difficile de nier qu'il franchit parfois la frontière du radotage mais je lui pardonne tout pour des passages comaques qui valent absolument le temps que vous allez passer à mettre la main sur ce livre : " A cette heure-ci, par ce temps-là, Pigalle vous tombe sur le dos comme un vieux tapis de chien. pourquoi cette merde me rappelle-t-elle Venise ? La sérénissime depuis cent ans gâteuse, rinçant ses chicots dans l'eau morte ? Pigalle sent à peine moins mauvais. Sitôt les chandelles soufflées, l'endroit tourne au caillé, pire que la grosse Place Clichy pourtant salement blèche. Le si tant chanté petit jet d'eau n'est plus rien d'autre, dans l'aube noyée, qu'une pissette dans une vasque..."

*: Même s'il lui arrive encore d'écrire des choses comme "quand on saura que les parents de Quenotte tenaient commerce de limonade et charbon de bois, il apparaîtra superflu de préciser qu'ils étaient d'Espalion"

2 comments:

tilly said...

Ce livre poignant avait été une révélation pour moi quand je l'avais lu à sa parution. Ravie de voir qu'il existe en poche, merci de me donner l'envie de le relire.
Et quel titre... on dirait celui d'un film d'Audiard (Jacques) !

Eric Aussudre said...

C'est une vieille édition achetée d'occasion. J'ai bien peur que La nuit,le jour et toutes les autres nuits soit difficile à dénicher.