Sunday, January 22, 2012

The fly


Vous êtes de plus en plus nombreux à lire les réjouissantes saillies de mon ami Mariaque sur Abordages et ce n'est que justice tant son style demeure inimitable. Sachant mon intérêt croissant pour le maître canadien (certains parleront à juste titre du zèle des néophytes), El Mariako m'a demandé une petite contribution pour son site. La voici, à peine modifiée :
Comme l’admet Stuart Cornfeld, le producteur de La mouche dans les suppléments de l’édition DVD, ce qu’il y a de fascinant dans le travail de Cronenberg sur ce film, c’est la façon dont progressivement, insensiblement, le protagoniste (le savant Seth Brundle) devient l’antagoniste (l’insecte destructeur), perturbant en profondeur les schémas narratifs habituels.
Dans la première adaptation de la nouvelle de George Langelaan par Kurt Neumann (1958), le savant était relégué au second plan et le spectateur devait se contenter du point de vue de sa femme, une parfaite femme d’intérieur, dépourvue d’aspérités. Et c’était très frustrant d’autant que les expériences menées par son scientifique de mari aboutissaient à un dédoublement guère convaincant (une grosse tête de mouche sur un corps d’homme et un visage d’homme greffé sur un corps d’insecte). En refusant la métamorphose (mais la censure ne l’aurait sans doute pas permise), le scénario se privait de tout potentiel anxiogène, potentiel que Cronenberg presque trente ans plus tard saurait formidablement exploiter.
Même si, à l’adolescence, le cinéaste canadien éprouvait beaucoup d’intérêt pour les invertébrés, on sent bien que ce qui le passionne ici, ce n’est pas l’insecte mais les mutations du corps de Seth, métaphore de toutes les dégénérescences (la maladie comme le vieillissement) mais aussi vecteurs de renaissance (Après sa téléportation, Seth voit sa force sexuelle décupler et la fatigue disparaître). Cronenberg traite avant tout de l’humain, de l’amour humain jusque dans ses aspects les plus angoissants (« m’aimeras-tu encore à l’état de larve ? ») et j’aime à voir dans l’acte final de Veronica comme un geste d’euthanasie pour mettre fin aux souffrances de son amant mutant.
Dans une scène qui fut coupée au montage, Seth s’acharnait à l’aide d’un tuyau en acier sur le fruit d’une expérience ratée, une créature hybride, mi-chat, mi-babouin. Stuar Cornfeld incita Cronenberg à retirer cette scène pour ne pas que le public ne se détourne définitivement du personnage de Seth. On peut regretter cette mutilation tant elle s’insérait parfaitement dans le projet de l’auteur de Faux semblants de dessiner une figure de scientifique dans la lignée du docteur Jekyll plus que de Louis Pasteur..
En l’état, le film demeure un époustouflant chef d’œuvre, défiant le bon goût (femmes enceintes s’abstenir), pour mieux saisir ce qui fait notre destin commun, ce combat perdu d’avance pour rester humain jusqu’au bout.

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