Sunday, May 19, 2013

Ricky and Bobby

Dans ses épatantes Chronicles, Bob Dylan n'est pas tendre avec la musique du début des années 60, du moins  celle qui passait à la radio. En dehors de Roy Orbison, tout lui paraît affreusement mièvre : "Next to Roy the playlist was strictly dullsville...gutless and flabby. It all came at you like you didn't have a brain."  La rébellion adolescente qui avait irrigué les ondes  à la fin des fifties semblait s'être transformée en un robinet d'eau tiède continu où les idoles interchangeables s'appelaient Frankie Avalon, Fabian ou Pat Boone. Seul , Ricky Nelson, pourtant le teenage idol par excellence, échappe à la censure du Zim. Même s'il lui dénie une vraie pertinence, il lui consacre une très jolie page, tâchant de mettre des mots sur l' incroyable charme dégagé par la voix du fils d' Harriett et d'Ozzie : " One afternoon I was in there pouring Coke into a glass from a milk pitcher when I heard a voice coming cool through the screen of the radio speaker. Ricky Nelson was singing his new song, "Travelin' Man". Ricky had a smooth touch, the way he crooned in fast rhythm, the tonation of his voice. He was different than the rest of the teen idols, had a great guitarist who played like a cross between a honky-tonk hero and a barn-dance fiddler. Nelson had never been a bold innovator like the early singers who sang like they were navigating burning ships. He didn't sing desperately, do a lot of damage, and you'd never mistake him for a shaman. It didn't feel like his endurance was ever being tested to the utmost, but it didn't matter. he sang his songs calm and steady like he was in the middle of  a storm, men hurling past him. His voice was sort of mysterious and made you fall into a certain mood".  Il est frappant de constater combien Ricky infusait du mystère, de la mélancolie même dans des titres apparemment anodins comme ce Travelin' man, un titre écrit par Jerry Fuller. Le texte qui ne brille guère par son originalité détaille les escales sentimentales d'un voyageur au long cours. Là où un autre aurait émaillé ce catalogue macho de clins d'oeil complices, Ricky reste sobre, refusant de céder à la forfanterie qu'appelle le texte. Pas un sourire non plus sur le petit scopitone qui  accompagnait le feuilleton familial comme si Ricky était toujours le petit garçon chétif ostracisé par ses camarades d'Hollywood high. Ricky (que d'aucuns continueront à appeler ainsi alors qu'après 1961, il fait enlever le y de ses disques) aura toutes les peines du monde à faire oublier ses débuts comme clean-cut kid dans la série familiale The adventures of Ozzie and Harriett. Moins rugueux que Carl Perkins (son maître), moins charismatique qu' Elvis (à qui il fut sans cesse comparé), Ricky possédait une voix peu étendue mais au timbre immédiatement identifiable et sidérante de justesse. Beau comme Montgomery Clift ou Morten Harket, il avait comme eux aussi cette vulnérabilité qui plait tant aux filles (certaines étaient tellement dingues de lui qu'elles se mettaient en travers de sa route pour qu'il leur roule sur le corps au sens propre !). Hélas, comme les frangins Everly, il ne résista pas à la Beatlemania et disparut progressivement du Billboard après 1964 quand, à l'inverse, l'étoile de Dylan ne cessait de grimper au zénith.
Avec la palanquée de hits enregistrés entre 1958 et 1963, Ricky aurait pu tranquillement écumer le circuit des oldies et cachetonner comme un vieux forban sans scrupule . Mais voilà, Ricky était d'une toute autre étoffe, c'était un vrai fondu de musique (rappelons qu'il imposa James Burton à Imperial records), toujours aux aguets des nouveaux talents, soucieux de ne pas toujours reproduire la même formule. Pionnier du country-rock, bien avant que ce ne soit à la mode, il se fit copieusement siffler au madison square Garden car il refusait de jouer ses vieux hits. Comme Dylan, lui-même, quelques années plus tôt, se faisait traiter de Judas pour avoir électrifié son folk.

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