Thursday, July 03, 2014

Le tombeau de Marco Pantani

Pour les plus jeunes, il n'est plus qu'un nom calomnié dans un palmarès. Pour ceux qui ont l' âge de l'avoir vu courir, son cas est vite réglé. A son nom est automatiquement accolé l'épithète infamant de dopé. Affaire classée. Tout lui est dénié : son indéniable science de la course, son ascension stratosphérique de l'Alpe d' Huez lors du Tour 1995, ses talents de rouleur (alors qu'il ne pesait que 57 kilos)  et même son panache de  grimpeur, digne fils de Charly Gaul ou de Luis Ocaña.
Philippe Brunel, lui, n'a jamais clos le dossier. Dans son passionnant Vie et mort de Marco Pantani, il revient longuement sur le chemin de croix du Pirate, entre son éviction du Giro après un contrôle positif controversé et sa mort prématurée dans une pension minable de Rimini. Philippe Brunel ne cache rien de ce qui fut le quotidien du romagnol pendant les 5 longues années qui suivirent le bannissement de Madonna di Campiglio : son addiction à la cocaïne, les amours tarifés avec des entremetteuses pour dealer, les courtes rémissions et les rechutes de plus en plus sévères. Le journaliste de l'Equipe ne se voile pas non plus la face sur le dopage, estimant que Marco y touchait, oui, mais en restant dans les normes (avec ce que ce mot peut avoir d'insolite dans un tel contexte). Pas plus qu' Ulrich, pas moins qu' Indurain. S'il se fit coincer à Madonna di Campiglio, la veille d'un triomphe annoncé à Milan, Philippe Brunel l'attribue davantage à une malveillance de ses adversaires qu'à une tricherie manifeste. Du jour au lendemain, il Diablo devint un paria. Oubliés le doublé Giro-Tour de 1998 (personne ne l'a réalisé depuis !), oubliés les dizaine de milliers de tiffozzis sur le bord des routes. Sa vie perdit son sens. Jusqu'à cette overdose de cocaïne dans une chambre dévastée de la résidence Le Rose le 14 février 2004. Suicide ? Suicide assisté ? Assassinat ? Philippe Brunel n'écarte aucune piste, pose toutes les questions sans jamais trancher, laissant le lecteur à ses multiples interrogations. Plus que la résolution d'une enquête, celui qui eut la chance de côtoyer Marco Pantani à de nombreuses reprises s'attelle à découvrir la vérité d'un homme, travestie par les scandales, obturée par la célébrité. Torturé, flamboyant, mélancolique, obsessionnel, celui qui affirmait aller plus vite que les autres en montagne uniquement pour pouvoir abréger ses souffrances ressort de ce livre magnifique plus grand encore mort que vivant, Prométhée puni d'avoir voulu grimper trop haut, trop vite, trop seul.
" le drame des obsessionnels, disent les psychiatres, c'est qu'ils cultivent leur traumatisme. Pantani faisait désormais partie de cette confrérie-là. il se surprenait à dessiner en boucle le même croquis, la représentation d'un pendu, criblé par une forêt de poignards, et souffrait de l'impermanence des choses. dans ses phases de rémission, il disait ne plus rien ressentir et ne vouloir ressentir que ce rien. Un matin, surmontant ses angoisses, il avait enfilé sa tenue de coureur et s'apprêtait à reprendre l'entraînement quand une voiture était passée devant sa villa en klaxonnant bruyamment. penchés à al portière, ses occupants l’avaient insulté : "Drogato ! Drogato ! Drogato ! Pirata di merda " Alors, il s'était rassis en pleurs sur le perron de sa villa et dans un accès de rage s'était acharné à couper sa bicyclette en deux avec une scie à métaux " (Vie et mort de Marco Pantani, page 126)

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