Saturday, November 24, 2018

Riding With The King

Mon disque préféré de 2018 n'a pas été enregistré cette année mais entre 1965 et 1968. Il est signé d'un guitariste et d'un chanteur dont bien peu en France ne soupçonnent l'importance: Glen Campbell. Avec The Wrecking Crew, il a participé à des dizaines et des dizaines de disques dont la simple énumération suffirait  à encombrer les couloirs du Rock'n'Roll Hall Of Fame pour des décennies. Beach Boys (il remplaça en coup de vent Brian Wilson en pleine dépression nerveuse et joua sur Pet Sounds), Sinatra, Monkees, Sagittarius, Byrds, Monkees, pour ne citer que la série A, portent sa marque. Un tel pedigree lui ouvrira la porte d'une carrière dont le zénith commercial se trouve à la fin des années 60 et au début des années 70, Glen cartonnant dans le style countrypolitan cher à Charlie Rich (Universal Soldier, By The Time I Get To Phoenix, Gentle On my Mind lui permirent de voir venir l'avenir sans trop de souci pécunier). Mais les enregistrements dont il est question  sur Glen Campbell Sings For The King sont antérieurs aux années dorées du "Rhinestone Cowboy" et datent d'une période où Glen Campbell était encore largement inconnu du grand public américain. Enregistrements qui d'ailleurs n'avaient jamais été envisagé pour fournir matière à un disque mais plutôt  à servir de demo pour Ben Weisman, fournisseur numéro 1 de matériel pour le King (57 titres davantage encore que Pomus/Schumann ou Leiber/Stoller.) Ce qui étonne d'abord, c'est la qualité du son. Rien de minimaliste dans ces démos (qui portent si mal leur nom) mais un vrai groupe au son riche avec une voix idéalement mixée. Ce qui frappe ensuite, c'est la variété et la qualité des compositions alors qu'elles sont loin de faire l'unanimité parmi les fans du kid de Tupelo. C'est en effet un cliché martelé pendant des années qu'entre Elvis Is Back (pour le coup, vrai chef d'oeuvre) et From Elvis In Memphis (1969), Elvis a "laissé tomber l'affaire". Il n'y a évidemment rien de moins juste (ne serait-ce que Something For Everybody ou How Great Thou Art) mais il faut, c'est vrai, souvent faire un tri sévère sur des bandes originales où l'insignifiant côtoie le fulgurant et où les arrangements ne font guère dans la sobriété. Nettoyé des outrances orchestrales (les cordes sont absentes de ce disque à de rares exception), les compositions de Weisman retrouvent une seconde jeunesse rappelant (et ce n'est pas un mince compliment) la qualité du matériel sur lequel travaillait un Charlie Rich au même moment (on pense souvent au merveilleux The Many New Sides Of Charlie Rich). Quant à la comparaison avec Elvis, elle est faussée par l'aspect souvent daté des enregistrements du King du milieu des années 60. Mais si, on laisse de côté l'affect (mission impossible ici), on constate que la voix superbe et naturelle de Glen Campbell fait mieux que rivaliser avec le vibrato quasi "opératique"de l'hôte de Graceland. Sur le duo virtuel qui ouvre le disque, We Call On Him (opération purement mercantile qui obère quelque peu l'intégrité de l'ensemble), la confrontation tourne malgré tout légèrement à l'avantage d'Elvis (car lorsqu'on s'éloigne du profane, le timbre d'une richesse inouïe du King est intouchable). Mais, sur le reste du disque, Campbell qui a juste 30 ans, chante avec une aisance, une souplesse, une compréhension tellement intime de ce qu'on lui donne à jouer qui fait qu'on a vraiment l'impression que ces titres ont été écrits avec lui en tête. Fantômes réminiscents du Rick Nelson de For You (I Got Love) ou annonciateurs du Merle Haggard de Mama Tried (I'll Be Back), on est au coeur de cette Amérique que j'idolâtre, de cette pop qui se cherche, qui hésite entre rock'n'roll, country, gospel et soul, aux antipodes de toute sclérose.
Voilà un disque inespéré, à la fois juvénile et intemporel, dont on est déjà certain qu'il nous fera de l'usage.

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