Monday, December 10, 2007


Guère porté sur les convulsions révolutionnaires comme sur les coups de menton autoritaires, cela ne surprendra personne si je dis que mon personnage historique préféré ne se prénomme ni Maximilien, ni Vladimir, ni Napoléon. Et si je ne mange pas de tête de veau le 21 janvier, je me méfie tout autant des sauveurs et de leurs épigones. La société, un enfer de sauveurs, se plaignait déjà Cioran. Non, celui dont je chéris le plus la mémoire s’appelle Charles-Maurice, Charles Maurice de Talleyrand-Périgord. Ennemi de la canaille sans-culotte comme des ultras légitimistes, il a vécu en homme d’ Ancien Régime, ricanant de l’unanimisme béat des Constitutionnels(ah, son «ah ne me faites pas rire» à La Fayette, le jour de la Fête de la Fédération (oh, comme il aurait désapprouvé l’«homo festivus» cher à Philippe Murray)) et détraquant la sinistre machine de guerre napoléonienne. Il eut tant d’esprit qu’il en donna même à ceux qui se penchèrent sur lui (Sacha Guitry bien sûr qui vit en lui un frère en disgrâce et son meilleur biographe, Emmanuel de Waresquiel dont Le Prince immobile n’a pas quitté ma table de chevet depuis 4 ans). On dit de lui qu’il mangea à tous les râteliers et la caricature monarchique se plut à le représenter sous les traits d’une girouette. Pourtant, s’il trahit tous ses mandants ou presque, il fut impeccablement fidèle à un principe (lui qui en avait si peu), le libéralisme, en fait un libéralisme politique mâtiné de pragmatisme économique. Le régime qui lui semblait le moins mauvais était la monarchie anglaise où le roi règne mais ne gouverne pas. Il crut trouver en Louis-Philippe l’incarnation de cet idéal mais l’homme manquait un peu de superbe pour pleinement convaincre le vieillard indocile. Il était anglophile dans une période où l’Angleterre incarnait l’ennemi par excellence mais il avait suffisamment vécu à Londres pour savoir aussi que «la politique anglaise s’arrête là où cessent ses intérêts». Son chef d’œuvre reste le Congrès de vienne où , sans un seul atout en jeu, il réussit par un incroyable coup de bluff à maintenir l’intégrité territoriale de la France au grand dam des Alliés décidés à désosser la patrie de l’ «usurpateur». Chateaubriand, qui le haïssait, lui niera même ce succès et fera du Prince de Bénévent, un tableau terrible, admirablement écrit : « M. de Talleyrand a trahi tous les gouvernements et, je le répète, il n’en a élevé ni renversé aucun. Il n’avait point de supériorité réelle, dans l’acception sincère de ces deux mots. Un fretin de prospérités banales, si communes dans la vie aristocratique, ne conduit pas à deux pieds au delà de la fosse. Le mal qui n’opère pas avec une explosion terrible, le mal parcimonieusement employé par l’esclave au profit du maître n’est que de la turpitude. Le vice, complaisant du crime, entre dans la domesticité. Supposez M. de Talleyrand plébéien, pauvre et obscur, n’ayant avec son immoralité que son esprit incontestable de salon, l’on aurait certes jamais entendu parler de lui. Ôtez de M. de Talleyrand le grand seigneur avili, le prêtre marié, l’évêque dégradé, que lui reste-t-il ? Sa réputation et ses succès ont tenu à ces trois dépravations.» Comme on regrette que Talleyrand n’ait pas brossé en retour le portrait de l’auteur des Mémoires d’Outre-tombe. Il ne reste de Talleyrand, à propos de Chateaubriand vieillissant que ce mot d’esprit inoubliable : « Il est devenu sourd depuis qu’il n’entend plus parler de lui.»
P.S (qui n’a rien à voir) :seuls les amateurs de foot d’opérette n’ont pas le So Foot double consacré au Pibe de oro.
P.S2 : Que les amis bloggers m’excusent, mais mon absence bien involontaire n’est pas dû à un pépin de santé mais à une coupure scélérate d’Orange. Je poste donc de mon lieu de travail où les accès aux blogs sont soigneusement contrôlés.

3 comments:

Anonymous said...

C'est magnifique (sauf les PS qui sont inutiles). Oui, le diable boiteux te colle bien à la peau : tiède entre les tièdes mangeant à tous les râteliers, anglophile et capable de retourner son maillot au cas où le vent tournerait, de qui dresses-tu le portrait ? Heureusement qque tu es fidèle à tes amis, et qu'aucun d'eux n'est Chateaubriand. mais n'oublie jamais qu'une de mes ancêtres le porta sur les fonts baptimaux. De là à te faire boire le baptistère...

Ton odieux de Nantes

Jocelyn Manchec said...

De Britney à Talleyrand, ou, façon Vandamme, le grand écart culturel qui fait tout le sel du bonhomme Sonic !
Parfait dans l'un et l'autre camp...
... sous les menaces tempêtantes, toujours savoureuses elles aussi, de l'odieux petit Lu.

Eric Aussudre said...

Pas mal vue, cette comparaison avec le belge. Me réjouit même !
Quant au Nantais, espère bien boire autre chose avec lui que de l'eau bénite au premier jour de 2008 !