Sunday, July 04, 2010

The Age of Innocence


Dans un monde saturé d’obscénité, où chacun fait en sorte d’être plus commun et vulgaire que son voisin, un film comme The Age of Innocence fait du bien ! Non que l’obscénité soit absente du chef d’œuvre de Martin Scorsese, qui sait aussi se dissimuler derrière les gants beurre frais et les chapeaux claques, mais la mise en scène réussit la jolie prouesse de se mettre à l’unisson de la prose merveilleusement sophistiquée d’Edith Wharton (dont quelques échos nous parviennent grâce à la voix off de Joanne Woodward). Dédaignant l’académisme qui eut étouffé le film, Scorsese refuse de figer sa caméra dans d’interminables plans fixes. Il multiplie les mouvements virtuoses (plongées sur la table des Van der Luyden, fondus enchaînés sur les lettres d’excuse, entrée de Newton au bal donné par Julius Beaufort ) et use de plans très courts lors de la présentation d’Ellen chez les Van der Luyden comme pour signifier sa formidable liberté au sein d’une aristocratie new yorkaise aussi corsetée que celle du Vieux Monde. Virtuose, Scorsese l’est mais aussi incomparablement élégant lorsqu’il s’agit d’exprimer l’évolution des sentiments de Newton Archer vis à vis d’Ellen Olenska. Là, tout se joue dans la façon de filmer les mains des protagonistes. D’abord au Met un baise-main distant marquant une curiosité gênée puis une poignée de main plus engageante avant une étreinte fugace mais consolatrice du poignet. Et puis il y a aussi ce moment admirable où Newton doit faire renoncer Ellen à son divorce, donc à sa liberté. Insensiblement, la caméra se débarrasse de la profondeur de champ (toutes ces tentures, ces bibelots qui risqueraient d’agir comme un écran entre le spectateur et la vérité des sentiments) pour pouvoir mieux se focaliser sur les deux protagonistes brûlant d’amour l’un pour l’autre mais contraints socialement de taire leurs désirs.

Libéral en privé mais respectueux des convenances en public, Newton Archer est un personnage complexe, torturé et attachant mais il le cède en tout face à Ellen Olenska, femme émancipée qui pense pour avoir traversé l’Atlantique avoir gagné son droit au bonheur avant que d’ abandonner la partie pour ne pas forcer son amant à user de cruauté envers sa fiancée. Figure de sacrifiée d’une délicatesse presque surhumaine (« I can’t love you unless I give you up » dit-elle à Newton avant de se séparer de lui), Ellen Olenska rentre dans la catégorie des grandes amoureuses, de Madame de Mortsauf pour la fiction à George Sand, dans la réalité (également en butte aux conventions, également magnifique) qui dans Histoire de ma vie écrivait ces mots qui me revenaient en mémoire à la toute fin du film : «Le mariage est le but suprême de l’amour. Quand l’amour n’y est plus ou n’y est pas, reste le sacrifice.[…] Il y a au sacrifice des compensations que l’esprit vulgaire peut apprécier. L’approbation du monde, la douceur routinière de l’usage, une petite dévotion tranquille et sensée qui ne tient pas à s’exalter, ou bien de l’argent, c’est-à-dire des jouets, des chiffons, du luxe : que sais-je ? mille petites choses qui font oublier qu’on est privé du bonheur. »

4 comments:

J-P. said...

Très juste tout ce que tu dis là à propos de ce film SUBLIME ! Scorsese est en effet un virtuose de la mise en scène comme tu le soulignes bien. N'oublions pas aussi la belle photographie et la magnifique partition d'Elmer Bernstein, le compositeur de la musique (omniprésente tout au long du film). Bien vu également pour la référence à Balzac et à Sand !

Un de mes films préférés tous réalisateurs confondus et sûrement celui que j'apprécie le plus parmi l'oeuvre de SCORSESE.

Eric Aussudre said...

Décidément, J.P, on est souvent d'accord quand il s'agit du septième art et comme tu fais bien d'insister sur le très beau score d'Elmer Bernstein (j'avais déjà énormément apprécié son subtil travail de retouche de la partition d'Herrmann pour Cape fear).

daniel said...

Découvert ça hier soir ! ! ! ! :

http://devantf.blogspot.com/2010/02/marvin-gaye-real-thing-1964-1981.html

Et un live que je ne connaissais pas :

http://devantf.blogspot.com/2010/02/marvin-ostende-1981.html

Christophe said...

je n'ai pas accroché à ce film, je le trouve figé sous son joli vernis.
A mon sens, Scorsese échoue à rendre vivant ce qu'Ophuls réussissait à rendre vivant.
j'aime largement mieux Les affranchis.

sinon,merci pour la belle phrase de George Sand que je ne connaissais pas.