Sunday, June 07, 2020
Kylie Kylie Kylie
De You Think You’re A Man (Divine, avril 1984) à Happenin‘ All Over Again (Lonnie Gordon, janvier 1990), le trio de compositeurs et de producteurs Stock Aitken Waterman domina sans discussion les charts britanniques et continentaux. Pour leurs thuriféraires, SAW méritait presque d’être considérés comme les Holland/Dozier/Holland de leur époque. Même don pour toucher l’oreille du public avec cette combinaison inédite de synthés HI-NRG et de mélodies italo-disco, même talent à pouvoir écrire indifféremment pour des artistes féminins et masculins et même capacité pour composer des hits entraînants et facile à retenir. Pour leurs contempteurs en revanche, le trio infernal fut la plaie des années 80 (déjà bien servies en la matière), une mauvaise parodie de ce que fut Motown dans les années 60 avec ses artistes interchangeables, ses vocaux robotiques et ses paroles aseptisées. Comme souvent, la vérité se situe un peu entre les deux même si la balance penche sans doute un peu plus du côté du passif que de l’actif. Pour les évaluer de manière équitable, mieux vaut d’emblée oublier Motown et H/D/H, les machines ne pouvant supplanter la force et la finesse des Funk Brothers, Rick Astley ne jouant pas dans la même cour que Marvin Gaye et Mandy Smith n’ayant pas les épaules assez larges pour pouvoir être comparée à Martha Reeves ou Diana Ross. Berry Gordy voulait formater des artistes afroaméricains pour le public blanc et non stéréotyper des marionnettes blondinettes comme le firent SAW. Il faut simplement leur reconnaître un certain talent pour renflouer la carrière d’artistes sur le déclin comme Debbie Harry, Donna Summer ou The Three Degrees et une certaine habileté pour glisser dans le mainstream un peu d’underground comme le New Jack Swing ou la House Music (mais certains y virent un insupportable affadissement). Et puis on peut à demi-mots leur reconnaître un certain chic pour détecter le potentiel de certains artistes même si leur cynisme les amena à enregistrer les pages 3 du Sun comme Samantha Fox. Comme artiste, je pense évidemment avant tout à Kylie Minogue, dont ils furent les pygmalions chanceux.
En l’espace de deux ans (1987-1989), Kylie mit à genoux les charts européens, s’offrant même le luxe d’obtenir 13 Top 10 d’affilée au Royaume-Uni. Capitalisant sur le succès de la série Neighbours, le trio de producteurs et d’arrangeurs sut faire la jeune australienne la petite reine du du Cd single naissant et du 45 tours déclinant. Cette enfant de la balle aussi à l’aise devant des caméras de télévision que face à un micro devint à la fois leur estampille et leur jackpot. Tout ce qu’elle touchait se transformait en or. Une reprise bodybuildée, un duo sirupeux avec Jason Donovan, une inspiration en pilote automatique : rien ne semblait pouvoir arrêter celle qu’on appelait alors la « Princess of Pop ». Comme pour Britney première manière, ces hits sont de purs produits manufacturés avec très peu de singularité mais ils se réécoutent sans déplaisir (le bubblegum sait se faire aimer) ou plutôt les vidéoclips se laissent aimablement regarder avec leurs couleurs chamarrées, leurs changements incessants de tenue et les jolies boucles blondes de Kylie.
En 1990, Kylie a 22 ans et a troqué Jason Donovan pour Michael Hutchence. Un signe que les choses sont en train de changer. L’image lisse de la gentille voisine d’à côté est en train de doucement s’écailler. Kylie a-t-elle fait pression sur SAW pour modifier la teneur de ses disques ou le trio a-t-il pris conscience des changements à l’oeuvre chez l’australienne ? Toujours est-il que Rhythm of Love, son déjà troisième disque, sorti à la fin 1990, fait preuve d’une ambition nouvelle. Pour le trio, ce disque constitue à la fois leur « finest hour » et leur chant du cygne. Jonglant avec des éléments de World Beat , de New Jack et des samples culottés, le disque voit Kylie ouvrir les vasistas et prendre en main son destin musical allant jusqu’à cosigner quelques titres. L’influence de Madonna est perceptible (sur What do I Have To Do et Count The Days principalement) mais une Madonna moins en contrôle de son image, moins consciente d’elle-même. Une Madonna qui n’aurait pas totalement renoncé au premier degré. La voix aussi a mué, plus assuré dans le grave, moins minaudante. Propulsé par 4 singles fantastiques (Better The Devil You Know et son intro pétaradante, Step Back In Time, le disco décomplexé de What Do I Have To Do et enfin le glorieux Shocked), Rhythm Of Love donne déjà un aperçu de la future Kylie, capable de se réinventer alors même qu’elle nage en plein succès. Le reste de l’album, s’il n’atteint pas la même excellence , se montre également aventureux : lorgnant sur le funk princier (One Boy Girl) ou jouant avec les canons de l’EuroDance alors en pleine essor (Things Can Only get Better).
Plus tard viendront de plus prestigieuses collaborations (Michel Gondry, Nick Cave), des ambitions artistiques encore plus affirmées et une plus ample reconnaissance critique mais jamais plus elle ne parviendra à concilier aussi élégamment qu’ici l’énergie déraisonnable de la jeunesse et les choix audacieux de l’âge adulte.
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